Le Bilan de L'intelligence
Appearance
- L'interruption, l'incohérence, la surprise sont des conditions ordinaires de notre vie
- Nous ne supportons plus la durée. Nous ne savons plus féconder l'ennui. Notre nature a horreur du vide, - ce vide sur lequel les esprits de jadis savaient peindre les images de leurs idéaux, leurs Idées, au sens de Platon.
- 1800 - la découverte du courant électrique.
- ...quel effort d'adaptation s'impose à une race si longtemps enfermée dans la contemplation et l'utilisation des mêmes phénomènes immédiatement observables, depuis l'origine.
- (N'omettons pas, ici, de remarquer que tous ces grands hommes qui viennent de se déclarer incapables de comprendre la dynamo tombée de la Terre aux Enfers ont fait exactement ce que nous-même faisons quand nos interrogeons un cerveau, le pesant, le disséquant, le débitant en coupes minces et soumettant ces lamelles fixées à l'examen histologique. Ce transformateur natural nous demeure incompréhensible...)
- Le continuité régnait dans les esprits. On trouvait, sans grande difficulté, des modèles, des exemples, des précédents, des causes, dans les documents, les souvenirs, les ouvrages historiques.
- Tout homme appartient à deux ères.
- Ainsi, l'action de l'esprit, créant furieusement, et comme dans l'emportement le plus aveugle, des moyens matériels de grande puissance, a engendré d'énormes événements, d'échelle mondiale, et ces modifications du monde humain se sont imposées sans ordre, sans plan préconçu et, surtout, sans égard à la nature vivante, à sa lenteur d'adaptation et d'évolution, à ses limites originelles.
- En d'autres termes, l'esprit peut-il nous tirer de l'état où il nous a mis?
- Toute l'histoire humaine, en tant qu'elle manifeste la pensée, n'aura peut-être été que l'effet d'une sorte de crise, d'une poussée aberrante, comparable à quelqu'une de ces brusques variations qui s'observent dans la nature et qui disparaissent aussi bizarrement qu'elles sont venues.
- Qui sait si toute notre culture n'est pas une hypertrophie, un écart, un développement insoutenable, qu'une ou deux centaines de siècles auront suffi à produire et à épuiser?
- Une intoxication insidieuse. Il s'accommode à son poison, il l'exige bientôt. Il en trouve chaque jour la dose insuffisante.
- Quant à notre sens le plus central, ce sens intime de la distance entre le désir et la possession de son objet, qui n'est autre que le sens de la durée.
- La disparition de la terre libre - l'occupation achevée des territoires par des nations organisées, la suppression des biens qui ne sont à personne.
- La disparition du temps libre - le loisir intérieur, qui est tout autre chose que le loisir chronométrique, se perd. Nous perdons cette paix essentielle des profondeurs de l'être, cette absence sans prix, pendant laquelle les éléments les plus délicats de la vie se rafraichissent et se réconfortent, pendant laquelle l'être, en quelque sorte, se lave du passé et du futur, de la conscience présente, des obligations suspendues et des attentes embusquées... Point de souci, point de lendemain, point de pression intérieure; mais une sorte de repos dans l'absence, une vacance bienfaisante, qui rend l'esprit à sa liberté propre. Il ne s'occupe alors que de soi-même.
- Il peut produire des formations pure comme des cristaux.
- Mais n'oublions pas que notre view tout entière peut être considerée comme une éducation non plus organisée, ni même organisable, mais, au contraire, essentiellement désordonnée, qui consiste dans l'ensemble des impressions et des acquisitions bonnes ou mauvaises que nous devons à la vie même.
- Nous répondrons le plus souvent à ce qui nous frappe par des paroles dont nous ne sommes pas les véritables auteurs. Notre pensée - ou ce que nous prenons pour notre pensée - n'est alors qu'une simple réponse automatique. C'est pourquoi il faut difficilement se croire soi-même sur parole. Je veux dire que la parole qui nous vient à l'esprit, généralement n'est pas de nous.
- Si le civilisé pense d'une manière si différente du primitif, c'est par conséquence de la prédominance des réactions conscientes sur les produits inconscients. Sans doute, ces derniers sont la matière indispensable, et parfois du plus haut prix, de nos pensées, mais leur valeur durable dépend finalement de la conscience.